Introduction aux activités de Mathématiques

Saviez-vous que les nouveau-nés à peine âgés de quelques heures possèdent déjà un sens approximatif du nombre ? Cela semble difficile à croire et pourtant. Des chercheurs ont fait écouter des suites de sons identiques - de 4 ou de 12 sons - à des nourrissons¹. Ils étaient ensuite placés devant des images contenant soit 4, soit 12 points. À la grande surprise des chercheurs, les bébés regardaient bien plus longtemps les images contenant le même nombre de points que le nombre de sons qu’ils avaient écoutés !

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Cette expérience indique que les nouveau-nés sont non seulement capables de percevoir les quantités, mais qu’ils peuvent également le faire « à l’oreille » et « à l’œil » ! Et, contre toute attente, ils sont même capables d’associer ces deux types de perception : la quantité de sons perçus à l’oreille est associée à la quantité de points perçus par la vue. Bien évidemment, à ce stade, les bébés seraient bien incapables de faire la différence entre 4 et 5 points ou entre 10 et 12 points, leur capacité de discrimination n’est pas aussi fine. C’est néanmoins exactement le genre d’expérience qui fait dire aux spécialistes de la cognition numérique, que les nouveau-nés possèdent des capacités et des intuitions mathématiques précoces profondes.

Un sens inné du nombre

Quelque temps plus tard, à quatre mois de vie, alors qu'ils ne savent encore ni marcher ni parler, les bébés sont pourtant capables de percevoir une grossière erreur d’addition ou de soustraction² ! Des chercheurs ont placé, sous le regard attentif des enfants, un objet dans une boîte opaque. Puis ils en ajoutaient un autre. Si, en ouvrant la boîte, il n’y avait qu’un seul objet – ou trois ! – les nouveau-nés se montraient stupéfaits. Ils savent donc intuitivement que 1 plus 1 ne font ni 1 ni 3, mais exactement 2. Leur surprise était la même si deux objets étaient placés dans la boîte, que l’un était ensuite retiré, mais que, en ouvrant le couvercle, il en restait toujours deux. Les bébés semblent donc également savoir intuitivement que le résultat de 2 moins 1 est égal à 1.

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Ce sens approximatif des quantités a également été testé chez des enfants de grande section de maternelle qui se sont montrés capables de dire si le résultat d’une addition ou d’une soustraction – beaucoup trop difficiles pour eux – était juste ou non, simplement en se basant sur leur intuition innée du nombre. L’expérimentateur demandait : « Sarah a 21 bonbons. Nous lui en donnons 30 de plus. John a 34 bonbons. Qui en a le plus ? » Alors qu’ils n’avaient pas appris à additionner de tels nombres, les enfants étaient capables, la plupart du temps, de répondre correctement à la question.³

D'où nous viendrait cette intuition innée du nombre ? Nous disposons, dès la naissance, de circuits neuronaux spécifiques qui s'activent dès lors que nous percevons une quantité. Ces circuits dotent l’être humain, beaucoup plus tôt que nous aurions pu l’imaginer, c'est à dire dès la naissance, de capacités intuitives très sophistiquées, qui préexistent à tout enseignement.

L’école n’a donc pas à construire les capacités mathématiques de l’enfant à partir de rien, il possède déjà un sens inné du nombre. Il est fondamental de prendre la mesure d’une telle information : l’enfant qui entre à l’école maternelle à 3 ans est non seulement né avec des connaissances intuitives mathématiques, mais il a déjà eu trois ans de vie pour les affiner. La dernière expérience évoquée avec les enfants de grande section de maternelle montre que nous sous-estimons grandement leurs capacités. Au lieu d’accompagner les enfants dans le domaine des mathématiques comme s’ils ne « savaient rien », et finalement, prendre le risque de les ennuyer et de perdre leur intérêt pour les nombres, la recherche en cognition numérique nous invite, pour enseigner les mathématiques, à nous appuyer sur ces capacités approximatives précoces, et à les préciser.

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Enseigner les mathématiques,
c’est préciser ce sens inné des quantités.

La recherche indique que c’est en dénombrant les quantités et leur associant un symbole (un chiffre) que l’être humain affine sa capacité de discrimination numérique : à mesure que l’enfant fait cela, il devient capable de faire la différence entre des quantités proches telles que cinq et sept. Le recherche précise également que cette discrimination peut encore être perfectionnée par la manipulation de quantités - en les additionnant ou en les soustrayant, ainsi qu’en situant les nombres de manière linéaire sur une frise numérique.4 Comprendre la progression linéaire des quantités permet à l’enfant de saisir que le nombre suivant est toujours plus grand que le précédent, et qu’ils sont séparés par une seule unité.

C’est exactement de cette manière que nous avons procédé à Gennevilliers : nous avons aidé les enfants à préciser leurs intuitions par le dénombrement, par l’association de symboles exacts (chiffres) aux quantités, par la manipulation de quantités de plus en plus importantes, et par le placement des nombres sur une longue frise numérique murale. Nous leur avons proposé de compter au delà de 100, voire jusqu'à 1000, et ils avaient la possibilité de manipuler de grandes quantités allant au-delà du millier. Il semblerait que cet accès rapide aux grands nombres ait satisfait, précisé et galvanisé l’intelligence mathématique intuitive des enfants.

1 Izzard, V., Sann, C., Spelke, E.S., Streri, A. (2009), “Newborn Infants Perceive Abstract Numbers”, PNAS, 106 (25) p.10382-10385.

2 Wynn, K. (1992), “Addition and Substraction by Human Infants”, Nature, 358, p.749-750 ; McCrink, K. & Wynn, K. (2004), “Large Number Addition and Substraction by 9 Months-Old Infants”, Psychol. Sci, 15 (11), p.776-781.

3 Gilmore, C.K., McCarthy, S.E. & Spelke, E.S. (2007), “Symbolic Arithmetic knowledge Without Instruction”, Nature, 447 (7144), p.589-591; Gilmore, C.K., McCarthy, S.E. & Spelke, E.S. (2010), “Non-Symbolic Arithmetic Abilities and Mathematics Achievement in the First Year of Formal Schooling”, Cognition, 115 (3), p.394-406.

4 Conférence de Stanislas Dehaene “Fondements cognitifs de l'apprentissage des mathématiques” dans le cadre du cours “Fondements cognitifs des apprentissages scolaires”, Collège de France, 3 mars 2015 ; Conférence de Manuela Piazza

“Le gout des nombres et comment l’acquérir” dans le cadre du Colloque “Sciences cognitives & Education”, Collège de France, 20 mars 2012 ; Dehaene, S. (2010), La bosse des maths, Odile Jacob.