Les fonctions exécutives, 3 compétences clés.

Voici un autre grand pilier de la formation de l’intelligence : le développement des fonctions exécutives. Les fonctions exécutives sont essentielles, ce sont les compétences cognitives qui nous permettent d'agir de façon organisée pour atteindre nos objectifs. Les experts en relèvent trois principales : la mémoire de travail, le contrôle inhibiteur et la flexibilité cognitive.

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En effet, lorsque nous souhaitons faire quelque chose, qu’il s’agisse de résoudre un exercice de mathématiques, de faire une déclaration d’amour, d’apprendre à jouer du piano ou d’apprendre un pas de danse ; nous avons besoin de trois compétences dites exécutives : il nous faut une bonne mémoire de travail, qui nous permette de garder en mémoire des informations et de les organiser ; un bon contrôle inhibiteur, qui nous permette d’inhiber les distractions pour rester concentré, de contrôler nos impulsions, nos émotions, ou les gestes inappropriés ; et enfin, nous avons besoin de flexibilité cognitive, pour être créatif et ajuster nos stratégies en cas d'erreurs.

Ces fonctions exécutives sont fondamentales. Retenez-les bien. Elles nous permettent de fonctionner, de pouvoir réaliser dans le monde ce que notre intelligence commande. En effet, lorsque nous possédons une bonne mémoire, une bonne maîtrise de nous-mêmes et une belle flexibilité, nous pouvons agir avec succès et nager en confiance dans le grand bain de la vie.

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A l'inverse, sans elles, nous ne pourrions tout simplement pas avoir un comportement intentionnellement organisé et contrôlé pour atteindre un but, quel qu’il soit. Toute situation d’action ou d’apprentissage serait rendue difficile. Ces compétences sont d'ailleurs considérées par les experts comme les fondations biologiques de l’apprentissage.

Les fondations biologiques de l'apprentissage.

“Venir à l'école avec une base solide de ces fonctions exécutives est plus important pour les enfants que de connaître leurs lettres et leurs chiffres”, rapporte The Center on The Developing Child de l'Université de Harvard. En effet, si des enfants possèdent un contrôle inhibiteur faible, la moindre distraction les déconcentrent, attendre leur tour pour parler ou pour agir leur est difficile, ils ont du mal à contrôler leurs émotions et ils ne font pas preuve de persévérance. Si leur mémoire de travail n’est pas assez développée, ils oublient la consigne, ils ont du mal à organiser leurs actions, et ne se souviennent pas du sens du paragraphe qu’ils viennent de lire. Enfin, s’ils manquent de flexibilité cognitive, ils ont de grandes difficultés à ré-organiser leur action en cas de besoin, se découragent vite si leur stratégie ne fonctionne pas et n’identifient pas forcément leurs erreurs. “Même lorsque deux enfants seulement possèdent des compétences exécutives sous-développées,” explique The Center on The Developing Child, “une classe entière peut être désorganisée, et un temps précieux détourné des activités d’apprentissage. Cela peut avoir un impact profond sur le climat général de la classe et est souvent rapporté par les enseignants comme étant une source d’exaspération et de burnout.” Ces enfants ressentent eux-mêmes un grand désavantage par rapport à leurs camarades, ils ne sont pas capables de suivre la complexité d’un jeu par exemple et peuvent ainsi être mis à l’écart par leurs pairs.

A l'inverse, de nombreuses études indiquent que les enfants ayant développé une bonne mémoire de travail, un bon contrôle inhibiteur et une bonne flexibilité obtiennent de meilleures performances scolaires, et, une fois adultes, réussissent mieux leurs examens, entrent dans de meilleures universités et obtiennent des emplois plus satisfaisants. Mais au delà de cela, et c'est ce qui nous intéresse vraiment, ils ont les moyens d'atteindre les objectifs qu'ils se fixent dans leur vie. 

Plus prédictives que le QI.

De nombreuses études indiquent que lorsque nous possédons des fonctions exécutives bien développées, c'est à dire que nous possédons une bonne mémoire de travail, un bon contrôle inhibiteur et une bonne flexibilité, nos chances de réussite et d'épanouissement sont plus assurées qu'avec un QI élevé.

Une étude, connue sous le nom de The Marshmallow Test a été conduite dans les années 60 par le psychologue Walter Mischel de l'université de Stanford. Elle visait à mesurer le lien entre le développement de l'une de ces fonctions exécutives - le contrôle inhibiteur - et la réussite à l’âge adulte. Pour mesurer cela, Walter Mischel testa 500 enfants de 4 ans qu’il suivit pendant près de 30 ans. Le test consistait à placer un Chamallow devant chaque enfant, puis à le laisser seul, assis devant le Chamallow, une quinzaine minutes. Le psychologue expliquait à l’enfant: “Si tu ne manges pas le Chamallow pendant mon absence, tu en auras un de plus à mon retour.”

Tous les enfants n'ont pas fait preuve de la même patience, et ceux qui ont réussi à attendre n'avaient pas forcément les QI les plus elevés. Les enfants qui avaient pu se contrôler et attendre à 4 ans, avaient plus d’amis à l'adolescence que les autres, géraient mieux leur stress, avaient une meilleure estime d’eux-mêmes, s’exprimaient mieux, entraient dans de meilleures universités et, à l’âge adulte, ils avaient des emplois plus satisfaisants - même avec un QI plus bas. Enfin, ils avaient nettement moins de problèmes d’alcool ou de drogue à l’âge de 32 ans, et étaient en meilleure santé, que ceux qui - à 4 ans - n’avaient pas su résister à la tentation du Chamallow.

“Offrir aux enfants les moyens de construire ces compétences à la maison, dans les programmes d’éducation précoces, et dans tous les autres contextes où ils vivent régulièrement, est l'une des plus importantes responsabilités de la société.” explique The Center on The Developing Child de l'Université de Harvard.

Un potentiel qui se développe - ou pas.

“Contrairement aux croyances populaires, apprendre à se contrôler, à être attentif et à mémoriser consciemment des informations n’arrive pas automatiquement lorsque les enfants grandissent,” explique The Center on The Developing Child. Aussi fondamentales que soient ces compétences, nous ne sommes pas nés avec. Nous sommes nés avec le potentiel de les développer - ou pas. Pour les développer, le jeune être humain doit pouvoir les exercer au moment dicté par la nature, et tous les enfants n’ont pas la possibilité de le faire.

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Vous l’avez certainement constaté avec vos enfants, à 2 ans ½, les fonctions exécutives de l’être humain sont peu développées : l’enfant oublie rapidement ce qu’il voulait dire alors même qu’il est en train de parler, il se laisse vite distraire, contrôle difficilement ses gestes et ses émotions, et change difficilement de stratégie lorsque la sienne ne fonctionne pas. C’est normal, son potentiel exécutif commence tout juste à se développer et il va se développer très rapidement entre 3 et 5 ans. Cette période sensible est une véritable fenêtre d'opportunité à ne pas manquer. Car, ce qui se construit lors de cette période constitue la base sur laquelle les compétences exécutives seront déployées et raffinées jusqu’au début de l’âge adulte.

Comment aider ?

The Center on The Developing Child est très clair : les environnements favorables au développement de ces compétences sont ceux dans lesquels l'adulte amène précocement et progressivement l'enfant vers une autonomie de plus en plus maîtrisée. En effet, lorsque nous encourageons l'enfant à faire seul, à se chausser seul, à ranger ses affaires seul, à se savonner seul, ou à écosser des petits pois à nos côtés, nous l'aidons à exercer ses fonctions exécutives : il doit atteindre un objectif précis et pour cela il doit focaliser son attention, contrôler les gestes ou les émotions inappropriées, planifier ses actions, et rester flexible en cas d'erreur. Il n’y a que lui, par sa propre activité, qui puisse construire son intelligence exécutive. L'adulte ne peut que l'encourager, dès 3 ans, à faire lui-même ce qu'il peut faire lui-même, en l'accompagnant sans faire à sa place, en l'encourageant, puis en s'effaçant progressivement. Rien de plus. Nul besoin d’aller chercher des activités extraordinaires, à 3 ans, l’ordinaire est extraordinaire.

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Faire le ménage à 4 ans pour un avenir meilleur.

Une étude longitudinale indique que participer aux tâches quotidiennes dès 3 ans permet le développement de ces compétences fondamentales. La chercheuse Marty Rossmann a étudié le style de vie de 84 enfants, à l’âge de 3 ans, à 10 ans, à 16 ans, et vers 25 ans. Les résultats sont étonnants : les enfants ayant participé aux tâches ménagères dès 3 ans avaient une maîtrise de soi, un sens des responsabilités et une autonomie plus développés à l’âge adulte par rapport à ceux qui n’avaient pas effectué de tâches ménagères, ou qui avaient commencé à l’adolescence. Ils avaient également de meilleures relations avec leurs familles et leurs amis (on sait que le développement des compétences exécutives favorise de bonnes relations sociales), de meilleures performances académiques, et étaient plus indépendants financièrement. Elle en conclut que la participation aux tâches domestiques à l’âge de 3 ans (et donc en pleine période biologique de développement des compétences exécutives) avait été un critère plus déterminant que le QI pour la réussite à l’âge adulte. Autorisons donc nos enfants de 3 ans – qui ne demandent que ça – à passer le balai !

Quand l’intelligence se défend de nous.

L'enfant de 3 ans est donc un être d'action, il doit faire par lui-même pour entraîner ses fonctions exécutives. Cette exigence à vouloir absolument faire par lui-même, n'est donc ni un caprice, ni une manie, ni un hasard : c’est une manifestation de l’intelligence qui demande à s'exercer. Et lorsque qu'il exerce son intelligence - n’essayez pas de faire à sa place, vous vous exposeriez à une levée de boucliers.

Laissez-moi vous raconter une anecdote. A Gennevilliers, il y avait un enfant de trois ans, habitué à ce que l’on fasse tout à sa place. Le matin, il s’asseyait sur le banc dans le couloir, totalement passif, le corps mou et regardant dans le vague, s'abandonnant totalement à l'adulte qui lui retirait ses chaussures et lui mettait ses chaussons. Préoccupée par son développement exécutif, je passais un peu de temps tous les jours avec lui pour lui montrer comment se déchausser et se chausser seul. Après seulement deux jours, il commençait à reprendre plaisir à faire par lui-même. Le troisième midi, alors qu’il se trouvait dans le couloir sur le banc à mettre ses chaussures en attendant sa grand-mère, j'entendis un cri perçant. Il s'agissait d'un cri si primal que je n'avais pas même reconnu la voix du petit garçon. Sa grand-mère, pressée, était arrivée et avait tenté de lui prendre ses chaussures des mains pour les lui mettre. Pour se défendre, le petit avait repris ses deux chaussures, et était parti en courant vers la sortie de l'école, la grand-mère à ses trousses. Il s'arrêta sur le banc d'une autre classe, pleurant et redoutant un nouvel assaut de sa grand-mère, qui ne tarda pas à arriver : “Méchant ! Je vais te mettre tes chaussures, on est pressé !” Je dis à sa grand-mère : “Il veut seulement le faire lui-même, c'est important pour lui. Il veut que vous le laissiez faire.” Et je me plaçai entre l'enfant et sa grand-mère en invitant l’enfant à mettre ses chaussures : “Vas-y, mets tes chaussures, ta grand-mère va attendre, je reste là.” Il s'apaisa et mit, sous le regard coléreux et impatient de sa grand-mère, ses chaussures avec un soin amoureux.

Ainsi, lorsque nous refusons à un enfant âgé de 3 à 5 ans de boutonner seul sa veste par manque de temps et qu’il proteste violemment, ce n’est pas lui qui se dresse face à notre maladresse, c’est toute l’intelligence de l’Homme qui gronde car elle trouve une entrave à son développement. Il s’agit d’un indicateur négatif de la présence d’une période sensible. A l’inverse, si nous n’entravons pas son activité, nous le voyons traversé par une concentration extraordinaire et rechercher une précision étonnante, sa satisfaction est pleine et joyeuse. Cette grande satisfaction est l’indicateur positif d’un besoin sensible comblé.

Une promesse d'épanouissement social.

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Les circuits cérébraux associés aux fonctions exécutives se situent dans le cortex pré-frontal, lui-même relié aux structures qui répondent au stress et à la gestion des émotions. Ainsi, dotés de bonnes fonctions exécutives, nous pouvons mieux faire face au stress, nous sommes capables d'analyser et d'exprimer nos émotions avec sérénité, de mieux comprendre celles des autres, et par conséquent, nous sommes plus à même de résoudre et d’éviter les conflits relationnels. Les études le confirment et sont très claires : avoir des fonctions exécutives bien développées permet des relations amicales et sentimentales durables et harmonieuses.

“Si vous souhaitez que votre enfant réussisse à l’école et dans la vie, aidez-le à développer de bonnes fonctions exécutives. Ces compétences sont vraiment importantes et souvent plus prédictives que le QI”, affirme Adele Diamond, spécialiste internationale des fonctions exécutives.

A retenir.

Entre 3 et 5 ans, l'être humain développe à grande vitesse ses fonctions exécutives par sa propre activité. Bien développées, elles vont lui permettre de fonctionner, de réaliser n'importe quelle tâche avec succès. Ainsi, quelque soit le milieu où l'enfant évolue, à l'école ou à la maison, avant même de penser à lui enseigner les lettres, les chiffres ou autre chose, il faut l'aider à les développer. Le reste attend. Pour cela, il nous faut adopter une posture simple auprès de nos enfants, dès leur naissance, et pour tous les gestes de la vie quotidienne : “Tu peux le faire, tu vas le faire, même si cela prend du temps, je sais que tu vas y arriver.”

Le développement des fonctions exécutives fut le pilier fondateur de notre travail à Gennevilliers. Il permit aux enfants d'entrer avec joie dans les apprentissages et de s'épanouir dans la relation à l'autre. La manière dont nous avons procédé pour soutenir le déploiement de ces compétences essentielles est développée dans le livre “Les lois naturelles de l’enfant”. En quelques mots, nous avons axé notre proposition sur l’autonomie progressive et accompagnée, sur la possibilité pour les enfants de réaliser des activités pratiques quotidiennes, sur un étayage langagier constant, sur un environnement social riche et bienveillant, ou encore en permettant de longues plages de jeux libres dans la cour.

Pour approfondir

National Scientific Council On The Developing Child, Building The Brain’s “Air Traffic Control” System : How Early Experiences Shape The Development of Executive Function, Working paper 11, Center on the Developing Child - Harvard University.

TEDx Adele Diamond - Turning some ideas on their heads.

Enhancing and Practicing Executive Function Skills with Children from Infancy to Adolescence, Center on the Developing Child - Harvard University.

L'attention et le contrôle exécutif. Conférence de Stanislas Dehaene, Collège de France Diamond, A., & Lee, K. (2011).

Interventions shown to aid executive function development in children 4 to 12 years old. Science (New York, N.Y.), 333 (6045), 959–964.