Introduction aux activités d’affinement des sens

L’enfant forme son intelligence grâce aux informations visuelles, tactiles, auditives, gustatives, olfactives, qui lui parviennent du monde extérieur. Ces impressions sensorielles structurent directement son cerveau en plein développement. Ainsi, proposer à l’enfant des activités qui lui permettent de préciser ses capacités et perceptions sensorielles - afin de mieux voir, mieux sentir, mieux entendre, mieux goûter, mieux percevoir par le toucher - est un soutien précieux pour le bon développement de son intelligence.

Préciser les capacités sensorielles

Au sein de la classe, nous proposions pour ce faire un matériel sensoriel dont une partie a été conçue par le médecin français Jean Itard. Ce matériel a ensuite été repris et développé par son disciple Édouard Séguin, puis étoffé par le Dr Maria Montessori. “Les barres rouges ont été inventées il y a plus de cent cinquante ans,” explique le Dr Montessori lors d’une conférence à Londres en 19461, “cent ans avant que je ne commence mes travaux.” Elle poursuit : “La tour rose était également utilisée en tant que test cognitif quarante ans avant que je ne commence mes expérimentations (...). Je n’ai pas inventé les exercices moi-même, j’ai pris ceux qui existaient déjà et les ai testés sur les jeunes enfants.”

Affinement des sens

En raison de la clarté cognitive qu’il offre, de son esthétisme, de ses couleurs attrayantes et de ses dimensions, ce matériel sensoriel retient l’attention des enfants et les engage dans une activité qui leur permet d’affiner leurs sens de manière très efficace. Néanmoins, il est fort probable que d’autres matériels ou activités offrent des conditions similaires. Libre donc à chacun de sélectionner le matériel qui lui semble pertinent.

Dans le cas où votre intérêt s’arrêterait sur le matériel didactique que nous avons utilisé, il est important de reprendre cet héritage de la même manière que Maria Montessori : non pas comme une finalité, mais comme un point de départ fort intéressant, que nous devons absolument nous sentir libres d’adapter à notre époque et à l’enfant que nous avons en face de nous. Le matériel n’est qu’un moyen, l’important c’est l’enfant, sa personnalité, et ses rythmes.

Deux paramètres importants pour le choix des activités

Voici deux paramètres particulièrement intéressants pour permettre aux enfants de préciser leurs capacités sensorielles. Il s’avère donc pertinent de sélectionner des activités respectant ces deux aspects.

Isolement d’une qualité. Le matériel pensé par Itard, Séguin et Montessori est extrêmement pertinent cognitivement, notamment parce qu’il isole une qualité. Avec les Barres rouges, par exemple, il n’y a que la longueur qui varie : ni la couleur ni la texture ne varient. L’attention et toute l’intelligence de l’enfant sont donc totalement canalisées sur les différences de longueur. Pour le matériel des Couleurs, même chose : les tablettes sont toutes identiques, seule la couleur varie. La quasi totalité du matériel sensoriel pensé par ces trois médecins isole les qualités sensorielles à discriminer, ce qui le rend très efficace.

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Mettre ensemble ce qui est pareil, puis réaliser des gradations. La mise en paire est un exercice simple que les enfants adorent, qui leur permet de préciser efficacement leurs sens. La gradation demande une discrimination sensorielle plus fine, nous vous invitons à la proposer dans un deuxième temps aux enfants.

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Mise en paire de bruits identiques

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Gradation de bruits du plus fort au plus faible

Offrir le monde au jeune enfant

Le matériel d’affinement des sens que nous choisissons pour nos enfants ne devrait être qu’un complément d’une vie réelle vivante, riche et variée. Marcher dans le sable, sur la moquette, toucher du bois, faire de la peinture, de la poterie, jouer dans l’eau, transporter des morceaux de bois pour aider à faire un feu - et donc comparer les longueurs pour ne prendre que les plus fines et les plus petites par exemple ; préparer une salade de fruits et nommer toutes leurs belles couleurs, écouter le chant des oiseaux en forêt et essayer de les reconnaître, ramasser des feuilles mortes à l’automne et les observer, sentir la coriandre ou les roses dans le jardin... Vivre, vivre et vivre, en pleine présence à ce monde. Toutes ces expériences sensorielles si simples et si naturelles sont pourtant celles qui nourrissent l’intelligence plastique de l’enfant en plein développement, et ce sont elles qui sont irremplaçables. Le matériel didactique que nous choisissons pour nos enfants ne leur offre pas le contenu, il leur offre l’ordre pour ce contenu : il leur permet d’organiser et de nommer certaines impressions que le monde leur a déjà apportées.

L’essentiel du raffinement sensoriel de l’enfant a donc lieu en dehors de ces activités didactiques : il s’agit essentiellement de favoriser la vie, et de proposer, en complément, des activités qui permettent d’ordonner et de s’approprier les informations sensorielles qu’elle offre à l’enfant.

Nommer les perceptions

Aider l’enfant à nommer ses perceptions lui permet d’ordonner le monde extérieur et de mieux se l’approprier. Nommer les couleurs, leurs nuances ; nommer les différentes dimensions (épais, fin, court, long, petit, grand), nommer les différentes textures (rugueux, lisse, soie, coton, lin, chanvre...) etc., représente également un soutien précieux pour le bon développement de son intelligence.

À Gennevilliers, lorsque nous voulions transmettre du vocabulaire précis aux enfants, comme celui des Couleurs, nous le présentions de manière assez formelle par la très efficace Leçon en trois temps du Dr Édouard Séguin. Ces trois temps devraient être connus de tous les enseignants et des parents car ils permettent à l’enfant de mémoriser deux ou trois nouveaux mots d’une manière extraordinairement efficace.

  1. Le premier temps consiste à nommer. Il s'agit de nommer soi-même les couleurs en les pointant du doigt, et de les faire répéter à l’enfant. Nous disons « rouge » en pointant la couleur du doigt, et l’enfant répète « rouge ». Puis nous nommons « bleu » en pointant la couleur du doigt, et nous attendons que l’enfant répète « bleu ». Nous procédons de la même façon avec « jaune ». Nous recommençons ainsi plusieurs fois avec les trois couleurs sur un temps court pour ne pas lasser l'enfant.
  2. Le deuxième temps consiste à montrer. Nous demandons à l’enfant : « Montre-moi le jaune. » Il pointe alors le jaune avec son doigt. « Oui, c’est jaune », disons-nous en confirmant le nom de la couleur. Puis nous lui demandons de nous montrer les autres couleurs que nous nommons successivement, toujours sur un temps court et amusant. À cette étape, l’enfant commence déjà à associer un nom à l’objet ou au concept, sans pouvoir encore le nommer lui-même. Cette deuxième étape doit être plus longue que les autres pour permettre aux enfants de bien mémoriser le vocabulaire.
  3. Enfin, le dernier temps consiste enfin à identifier. Nous demandons à l’enfant en pointant du doigt la tablette de couleur rouge : « Qu’est-ce que c’est ? » Si les deux temps précédents ont été suffisamment enthousiasmants, il répondra avec élan (et parfois bruyamment) : « C’est rouge ! » Nous continuons ainsi avec les deux autres couleurs, et poursuivons ce troisième temps jusqu’à ce que le nouveau vocabulaire semble acquis - en prenant soin de changer les tablettes de place sur la table (ce qui amuse beaucoup les enfants).

Plus généralement, nous vous invitons à utiliser, auprès des enfants, un vocabulaire très précis. La rigueur et la richesse lexicale que nous exigeons de nous-mêmes est un cadeau précieux que nous faisons à nos enfants. Des mots précis posés sur le monde et ses richesses permettent aux enfants de mieux les organiser et de mieux les percevoir.

Si vous souhaitez en savoir plus, nous vous invitons à visionner les vidéos de la partie “Affinement des sens” de l’accompagnement didactique.

1 Conférence « Education based on psychology », Maria Montessori, 4 septembre 1946, in The 1946 London Lectures, Laren (Pays-Bas), Montessori-Pierson Publishing Company, 2012.