Résultats des trois années

Afin de mesurer les effets de la démarche pédagogique sur les enfants, l’association Agir Pour l'École a accepté, en 2011, de financer un suivi scientifique de l’expérience. Les tests choisis avaient pour objectif de mesurer : l’attention, la mémoire de travail (en mesurant l’empan mnésique), le raisonnement conceptuel (par classification et induction), la connaissance des lettres de l’alphabet (en testant la capacité à donner le son des lettres), la précision visuo-motrice, les capacités arithmétiques, la lecture ; l’expression verbale et le niveau lexical (par la dénomination d’images), la capacité à inférer un concept et la culture générale (par des devinettes), la conscience phonologique (par la segmentation de syllabes en phonèmes) ; et enfin, les capacités grapho-motrice et visuo-perceptive (par la reproduction de figures géométriques).

Il était prévu que ces tests soient réalisés chaque année, pendant trois ans. Ce suivi a malheureusement été avorté dès la première année, pour deux raisons :

  • La première est qu’un cadrage institutionnel a eu de grandes difficultés à se mettre en place. Ce manque de cadrage a conduit l'Éducation nationale à refuser la poursuite des tests à la fin de cette première année de recherche.
  • Il a par ailleurs été difficile d’un point de vue méthodologique de mesurer les progrès des enfants en lecture et en connaissance du code alphabétique, car les tests scientifiques mentionnés ci-dessus ont été pensés pour mesurer la capacité des enfants à lire en écriture script et à reconnaître les lettres par leur nom. Or, les enfants de la classe de Gennevilliers démarraient la lecture en typographie cursive (la reconnaissance du script était ultérieure) et connaissaient les lettres par leur son. Le nom des lettres leur était donné plus tard, lorsque la lecture était automatisée. Il fut donc nécessaire, pour mesurer les capacités des enfants en lecture et en reconnaissance des lettres, d’adapter les tests mentionnés ci-dessus, en passant le texte de certains tests en typographie cursive et en demandant aux enfants le son des lettres plutôt que leur nom. Ainsi, par l’approche pédagogique même utilisée dans la classe - accès à la lecture par le son des lettres et non le nom, et passage par la typographie cursive avant typographie script - nous avons fait face à des difficultés méthodologiques : il n’existe en effet pas de tests scientifiques étalonnés pour mesurer la capacité d’enfants si jeunes à donner le son des lettres (et non le nom) et à lire en écriture cursive plutôt qu’en script. Les années suivantes, les enfants ont pu passer ces tests car ils avaient automatisé la lecture et lisaient le script, toutefois les tests qu’ils ont passés étaient étalonnés pour des enfants plus âgés. Par ailleurs, il aurait fallu pouvoir intégrer une classe contrôle à cette étude, ce que nous n’avons pas pu faire.

Pour ces deux raisons, institutionnelle et méthodologique, ce suivi a été mis en place la première année, mais n’a pas été poursuivi la deuxième et la troisième année. Ces contraintes institutionnelles et méthodologiques ont par ailleurs conduit l’association Agir Pour l’École à cesser de nous accorder leur soutien. Nous avons donc, les années suivantes, réalisé des tests avec un psychologue indépendant puis avec le Laboratoire Unicog dirigé par Stanislas Dehaene, mais sur le temps hors scolaire, avec la complicité des parents. Dans ces conditions (hors temps scolaire), seule une quinzaine d’enfants a pu participer au suivi des deux années suivantes. Ainsi, bien que les tests indiquent une tendance très positive, le petit nombre d’enfants ayant passé ces tests en limite toutefois la représentativité. Pour aller plus loin, il faudrait envisager un suivi longitudinal d’un nombre plus important d’enfants, avec un groupe témoin.

En attendant que des tests adaptés à ce type d’approche voient le jour, et en attendant qu’un échantillon d’enfants plus important soit testé à l’avenir, il est néanmoins important de rappeler que les résultats de ces trois années, présentés ci-dessous, et complétés par les retours des parents, ont été très positifs : les enfants, pourtant issus d’un quartier défavorisé classé ZEP et Plan violence, se sont épanouis de manière surprenante, ils développaient de grandes qualités sociales, lisaient, comptaient ; ils étaient joyeux, heureux d’aller à l’école et d’apprendre.

Année 1 •  2011-12

Le suivi de cette première année a donc été organisé par Agir Pour l’École : les tests ont été choisis par une psychologue ingénieure-contractuelle au Laboratoire de Psychologie et Neurocognition associé au CNRS*, la passation a été réalisée par des psychologues indépendants, et l’analyse des données a été effectuée par l’association. Un pré-test a eu lieu en novembre 2011 pour mesurer le niveau des enfants sur toutes les dimensions mentionnées préalablement, un post-test a ensuite été réalisé en juin 2012, sur ces mêmes dimensions, afin de mesurer la progression.

Extraits du rapport des tests, réalisé par l’association Agir Pour l’École

«Tous les élèves, sauf un, progressent plus vite que la norme, beaucoup connaissent des progressions très importantes. L’élève qui ne progresse pas par rapport à la norme est celui qui a été le plus absent dans l’année.»

«En moyenne, en conscience phonologique, les enfants sont très au dessus de la norme.»

«57% des enfants de Moyenne Section dépassent le score d’alerte de janvier de CP.»

«La précision visuo-motrice apparaît très en avance par rapport à la norme.»

«En mémoire de court terme, les progrès sont très importants.»

Dès cette première année, les enfants sont en effet entrés dans les apprentissages de manière surprenante : neuf enfants sur quinze de Moyenne Section et un enfant de Petite Section ont commencé à lire. Les tests indiquaient pour ces enfants déjà un an (voire deux) d’avance en lecture. Les résultats extrêmement encourageants de cette première année montrent néanmoins qu’une dimension reste à surveiller, portant sur l’acquisition du vocabulaire, qui apparaît en retrait par rapport au reste.

Cette première année, un enfant de 3 ans a décidé d'apprendre à lire tout seul, pour faire comme les enfants de 4 ans de la classe. Nous tenons néanmoins à préciser qu’il ne s’agissait pas pour nous d’inviter les enfants à lire, mais plutôt de leur permettre de le faire lorsque l’envie se présentait : pour certains ce moment se présentait à 3 ans, pour d’autres, à 5 ans.

De leur côté, les familles ont rapidement noté chez leur enfant une capacité nouvelle à se concentrer, une autonomie importante, un grand sens social, ainsi qu’une autodiscipline que les enfants ne manifestaient pas auparavant. Leurs enfants étaient heureux de se rendre à l’école, prenaient confiance en eux et s’épanouissaient.

Année 2  •  2012-13

Cette deuxième année nous avons intégré un troisième niveau d’âge : les trois âges de la maternelle étaient ainsi réunis. Les enfants s'entraidaient et collaboraient davantage, leur autonomie continuait de se développer à grande vitesse. Tous les grands, ainsi que 90 % des enfants de moyenne section de maternelle sont entrés dans la lecture : une cinquantaine d’albums toutes les deux semaines devait être empruntée à la bibliothèque pour satisfaire l’envie de lire des enfants, qui emportaient chaque soir un ou plusieurs livres à la maison. La fréquence des lectures entraînait une amélioration du niveau de langage. Les enfants continuaient par ailleurs à assimiler avec enthousiasme et facilité, de grands concepts mathématiques (concept d’unité, numération de position), ainsi que des éléments culturels de Géographie, de Géométrie, ou de Musique.

Comme mentionné précédemment, nous avons réalisé, pour cette deuxième année, une nouvelle série de tests, cette fois-ci sur le temps hors scolaire. Seuls une quinzaine d’enfants ont pu être présents lors de la passation, ainsi, bien les résultats de ces tests indiquent une tendance très positive, le petit nombre d’enfants testés en limite la représentativité. Pour confirmer les résultats positifs de l’approche pédagogique, de tels tests devraient s’étendre à un nombre plus important d’enfants. Le choix des tests a été effectué par Manuela Piazza et Karla Monzalvo du Laboratoire Unicog dirigé par Stanislas Dehaene. Ces tests étaient axés sur les mathématiques et la lecture. La passation et l’analyse des résultats ont été effectués par un Docteur en Psychologie cognitive.

Extrait de l'analyse des données :

Compréhension de lecture

Les résultats produits par les enfants à l’épreuve de compréhension de texte sont étonnants. Bien que l’épreuve ne soit pas étalonnée pour leur niveau scolaire, ils parviennent encore à performer à la hauteur de la moyenne de la population de référence. En outre ces résultats sont atteints alors même que la moitié des points attribuables devrait constituer pour eux un handicap. Tous les enfants testés sont compris entre moins un et plus un écart type autour de la moyenne. Autrement dit, ils affichent une compréhension du texte qu’ils viennent de lire au moins aussi bonne qu’un élève moyen de CE1.

Conclusion Lecture

Les enfants de grande section de maternelle mais également ceux de moyenne section sont d’ores et déjà entré avec succès dans l’apprentissage de la lecture comme le prouve leur niveau de compréhension de texte lu ainsi que leur niveau de lecture. Les prérequis à l’apprentissage de la lecture sont maîtrisés comme le démontrent les résultats atteints lors de l’épreuve évaluant les habiletés à manipuler le code grapho-phonémique et lors des épreuves relatives au traitement phonologique.

Représentation complète et unifiée du code numérique

A la vue des résultats des enfants testés, il est possible d’affirmer que tous possèdent une représentation solide du code numérique. Seul deux enfants n’obtiennent pas les scores maximums aux deux épreuves. L’épreuve de décision numérique orale est réussie en totalité par les enfants de Grande section et par un enfant de Moyenne section. Or cette épreuve est étalonnée pour des enfants de CE2. Les enfants qui obtiennent un score de 12/12 à cette épreuve ont non seulement les meilleurs résultats de leur classe d’âge mais également de ceux de la classe de CE2.

Comparaison de nombres

Encore une fois, nous ne pouvons que constater que tous les enfants répondent avec brio à ces deux épreuves suggérant une maîtrise étonnante pour leur âge des grandeurs numériques.

Opérations et résolutions de problèmes

Les opérations simples réalisées avec un contexte narratif sont remarquablement bien réussies par l’ensemble des enfants. Cinq enfants obtiennent le score maximum à cette épreuve, les deux autres enfants sont dans la moitié supérieure de leur classe d’âge. Les élèves qui obtiennent le score maximum ont le même niveau que les enfants de CP de fin d’année, soit un an d’avance.

Conclusion Mathématiques

A l’image de ce que nous avons pu observer avec les tests sur la lecture, les performances des enfants de la classe de Gennevilliers en arithmétique sont excellentes. L’analyse des résultats fait ressortir une bonne maîtrise du code numérique et un niveau très satisfaisant de la sémantique du nombre et des opérations.

Les enfants présentent des résultats qui les classent généralement parmi les meilleurs élèves de leur classe d’âge. Nous avons choisi de présenter les résultats des enfants en les situant au maximum par rapport à la population de référence de leur classe d’âge. Néanmoins il est arrivé que certains enfants obtiennent des scores qui dépassent la limite supérieure de leur classe d’âge. Ce phénomène est quasiment systématique pour les épreuves de décision numérique et de comparaison des nombres. Lorsque les enfants obtiennent les scores maximums pour leur classe d’âge, il est fréquent qu’ils atteignent un niveau de fin de CP. Trois enfants de Grande section se situent même parfois parmi les meilleurs enfants de CE2.

Conclusion générale

Il apparaît que dans les deux domaines d’apprentissage incontournable de la scolarité, la lecture et l’arithmétique, les enfants de cette classe montrent des habiletés qui dépassent souvent leur niveau scolaire. Cette remarque est particulièrement vraie en ce qui concerne les compétences de lecture des enfants. En effet, contrairement à ce qui est attendu à l’âge de six ans, tous les enfants de notre groupe peuvent être considérés comme lecteurs. Le seul enfant à ne pas déchiffrer un texte n’est qu’en Moyenne section et parvient néanmoins à déchiffrer les lettres. Les compétences des enfants en arithmétiques sont également surprenantes. Là encore ils dépassent les attentes que nous pouvions fonder à leur égard. Il faut se rendre compte que tous les enfants présentent au moins un an d’avance par rapport à ce qui est attendu.

Année 3 • 2013-14

En septembre 2013, les enfants lecteurs de la classe ont passé des tests IRM à Saclay (NeuroSpin), avec le laboratoire Unicog. Ces tests visaient à comprendre si une entrée dans la lecture avant le CP avait une incidence sur l’organisation des circuits cérébraux de la lecture. Les tests sont encore en cours d’analyse, mais les données semblent d'ores et déjà indiquer :

  • une réorganisation cérébrale autour de la lecture strictement normale,
  • un an et demi d'avance en lecture.

Néanmoins, bien que ces données indiquent une tendance très positive, le petit nombre d’enfants ayant passé ces tests en limite la représentativité. Pour aller plus loin, il faudrait envisager un suivi plus systématique d’un nombre d’enfants plus important, toujours avec un groupe témoin.

Tests évoqués à partir de 16'20 min.

* Une formulation erronée s’est glissée dans le livre “Les lois naturelles de l’enfant” (p.18) indiquant que les tests de cette première année “ont été réalisés par le CNRS de Grenoble”. Cette imprécision sera corrigée lors de la prochaine réimpression : les tests ont été sélectionnés par une psychologue ingénieure-contractuelle au Laboratoire de Psychologie et Neurocognition associé au CNRS, mais la passation a été réalisée par des psychologues indépendants, et l’analyse des données a été effectuée par l’association Agir Pour l’École.